- octobre 5, 2025
- 3:31 pm
- Ukraine
Le 4 octobre 2025, le publiciste ukrainien Mykhailo Dubynianskyi a publié dans le journal «Ukrayinska Pravda» une chronique intitulée «Récit d’un amour non partagé» (ukr.).
Son texte ne parle pas seulement de politique.
C’est un essai sur les sentiments entre des peuples qui ont vécu la guerre, la douleur et la solitude, mais qui ont compris différemment ce qu’est la réciprocité.
Qui est Mykhailo Dubynianskyi
Mykhailo Dubynianskyi est un publiciste, analyste et chroniqueur ukrainien de «Ukrayinska Pravda»,
connu pour ses textes précis et ironiques à l’intersection de la politique, de la sociologie et de la philosophie.
Il est l’un de ces auteurs qui savent parler de la guerre — sans slogans, mais avec sentiment et vérité intérieure.
Depuis les années 2000, Dubynianskyi écrit sur l’identité ukrainienne, la transformation de la société,
et sur la façon dont les émotions collectives façonnent la politique extérieure.
Dans sa chronique du 4 octobre, il réfléchit sur
pourquoi l’Ukraine aime tant Israël,
et pourquoi Israël répond à cet amour — prudemment, presque imperceptiblement.
Deux ans de guerre et une défaite — informationnelle
L’auteur rappelle : en octobre 2025, cela fera deux ans depuis le début de la nouvelle guerre au Moyen-Orient.
Israël n’a pas obtenu de victoire complète sur le champ de bataille,
mais a perdu sur un autre — dans le domaine de la perception publique.
Dans les premiers jours après l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le monde entier compatissait avec Israël.
Mais déjà après quelques semaines, les médias occidentaux ont commencé à dominer avec des images de Gaza détruite,
et les hashtags #FreeGaza et #StopGenocide ont remplacé les drapeaux israéliens.
La compassion mondiale s’est transformée en condamnation,
et le seul pays où cette tendance n’a pas fonctionné a été l’Ukraine.
L’Ukraine — une exception au schéma mondial
Dans les rues ukrainiennes, il n’y a pas eu de manifestations de soutien à Gaza.
Sur les réseaux sociaux, il n’y a pas eu de flash mobs pro-palestiniens.
Dès les premiers jours du conflit, Israël est devenu le favori des sympathies publiques.
Selon les données de l’Institut international de sociologie de Kiev (KMIS),
en décembre 2023, 69% des Ukrainiens sympathisaient avec Israël,
et seulement 1% — avec la Palestine.
Pour comparaison, aux États-Unis (sondage Pew Research Center, novembre 2023)
Israël a été soutenu par 38% des personnes interrogées,
la Palestine — 11%.
Au Royaume-Uni (sondage YouGov, décembre 2023)
le niveau de sympathie était égal : 19% pour chaque côté.
La solidarité ukrainienne avec Israël, écrit Dubynianskyi, est un phénomène
sans équivalent dans le monde.
Un amour non réciproque
Mais si l’Ukraine est devenue la société la plus pro-israélienne de la planète,
Israël lui-même n’est pas aussi pro-ukrainien.
Le cabinet de Benyamin Netanyahou a évité la confrontation avec Moscou,
n’a pas imposé de sanctions et n’a pas fourni d’armes à Kiev.
Cette politique de « neutralité prudente »
a trouvé un soutien à l’intérieur du pays.
Au printemps 2022, l’Israel Democracy Institute a interrogé les citoyens israéliens :
60% étaient d’accord pour ne pas rejoindre les sanctions occidentales contre la Russie,
et 67% pensaient qu’Israël ne devait pas fournir d’aide militaire à l’Ukraine.
Un an plus tard, selon les données de Maagar Mochot (mars 2023),
63% des Israéliens soutenaient la position officielle de neutralité,
72% étaient contre la fourniture d’armes,
et 56% craignaient de détériorer les relations avec Moscou.
L’Ukraine rêve d’être Israël
Dubynianskyi rappelle que l’admiration pour Israël en Ukraine n’a pas commencé en 2023.
Depuis 2014, il est devenu une sorte d’idéal :
un pays qui survit, lutte, construit des technologies et se défend.
La phrase « Nous devons devenir le deuxième Israël » résonnait partout —
des talk-shows aux discours présidentiels.
Mais en Israël, il n’y a jamais eu de rêve miroir.
Personne n’a dit : « Nous devons devenir la deuxième Ukraine ».
Cette relation a toujours été unilatérale.
Pragmatisme et romantisme
Israël pense de manière pragmatique.
L’Ukraine — de manière romantique.
Si l’on regarde froidement, la guerre d’Israël ne nous apporte pas d’avantages.
Elle détourne l’attention du monde de la guerre en Ukraine.
Elle absorbe des ressources,
y compris des composants américains pour les systèmes de défense aérienne ukrainiens,
qui ont été redirigés vers le Moyen-Orient en 2024.
Elle crée des occasions de propagande pour le Kremlin.
Selon Bloomberg,
Poutine suit attentivement les actions de Netanyahou
et considère l’opération israélienne « plus dure que la sienne ».
Récit d’un amour non partagé
L’Ukraine continue d’aimer Israël —
sincèrement, sans calcul, même sans réciprocité.
Dubynianskyi appelle cela « un récit d’un amour non partagé » —
une relation où une partie croit,
et l’autre préfère observer de loin.
Et pourtant — l’amour est vivant.
Il ne s’est pas éteint ni après le 7 octobre, ni après le 24 février.
Premiers pas vers la réciprocité
En septembre 2025, le président Volodymyr Zelensky a déclaré,
qu’un des systèmes Patriot, précédemment utilisés en Israël,
protège déjà le ciel ukrainien.
Deux autres doivent arriver bientôt.
C’est un premier, bien que prudent, signal de réciprocité.
Un final que nous n’avons pas encore lu
La chronique de Dubynianskyi se termine doucement, sans morale.
Il écrit sur l’espoir — sur le fait que, peut-être,
un jour cet amour deviendra réciproque.
Mais pour l’instant — c’est encore un récit.
Sur les sentiments, pas sur le calcul.
Sur un pays qui sait aimer même à l’époque du cynisme.
